Aujourd’hui utilisée dans de nombreux domaines tels que la topographie, la cartographie, les SIG, l’architecture, l’industrie, la géologie, l’archéologie ou encore dans la Défense, la photogrammétrie a connu des progrès spectaculaires ces dernières années et a littéralement investit le champ des applications de la mesure 3D.  Véritable alternative aux systèmes à balayage laser dont elle semble menacer les investissements existants, la photogrammétrie permet la modélisation en 3D d’environnements complexes à partir d’images orientées tout en permettant de relativiser les coûts.

Si la photogrammétrie connaît un tel succès, c’est avant tout parce que son emploi ne nécessite aujourd’hui qu’une quantité de matériel réduite et des connaissances basiques pour obtenir un résultat probant. L’utilisation d’un appareil photo numérique ainsi que d’un logiciel dédié (comme il en existe beaucoup aujourd’hui) est à la portée de tous et suffit pour créer des rendus 3D de qualité. La flexibilité de la photogrammétrie change véritablement la donne et permet de couvrir un large champ d’applications allant de la réalisation de modèles numériques de surface (MNS) à la modélisation intérieure ou extérieure d’environnements en 3D.

Le renouveau d’une discipline

Inventée il y a près de 150 ans, la photogrammétrie connaît une nouvelle jeunesse depuis le tournant du millénaire grâce à l’évolution des technologies numériques. Auparavant réservé à des opérateurs qualifiés possédant du matériel spécialisé, l’essor de l’informatique et des capteurs numérique a permit de lever certaines barrières technologiques et propulser la photogrammétrie au devant de la scène géospatiale pour la production de données 3D.

L’utilisation de moyens de calcul informatisés de plus en plus puissants a permis de reconsidérer progressivement toutes les étapes de traitement des images pour offrir une meilleure prise en compte des aberrations optiques des caméras et réaliser des calculs de corrélation entre les images. La chaîne de production 3D peut être aujourd’hui entièrement automatisée pour un coût modéré, rendant la photogrammétrie accessible à un plus large public.

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Dans une autre mesure, la multiplication des capteurs, appuyée notamment par l’émergence des drones ces dernières années a fortement contribué au renouveau et à la démocratisation de cette discipline.

Principe de la photogrammétrie

Le principe général de la photogrammétrie se base sur la perception humaine du relief par observation stéréoscopique. C’est ce que nous faisons quotidiennement grâce à nos yeux. A partir de deux clichés, il est possible de reconstituer le même processus. La détermination de l’objet est alors basée sur la mesure des coordonnées, dans l’espace image.

La photogrammétrie aérienne consiste à effectuer deux prises de vues d’une même zone depuis deux positions différentes en vol. L’élément fondamental de cette mesure est la parallaxe horizontale à partir de laquelle peut être calculé la distance à l’objet. Par corrélation automatique, on effectue une identification précise de chacun des pixels de la première image d’un couple stéréoscopique dans la seconde, les points homologues. Tout écart entre altitude vrai et altitude à priori génère un parallaxe proportionnelle à l’angle stéréoscopique.

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Le traitement numérique des images utilise une méthode de corrélation d’images en multi stéréoscopie en se basant sur différentes résolutions. Cette approche multi-résolution, est à la fois rapide et robuste, elle consiste à effectuer successivement l’appariement pour différents niveaux de résolution. La corrélation est effectuée de manière successive sur une pyramide d’images jusqu’à l’obtention d’un modèle 3D très résolu.

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La photogrammétrie dans la Défense

La diversité des images exploitables par la photogrammétrie en fond un outil extrêmement flexible et intéressant pour la Défense qui dispose d’une grande variété de capteurs. L’utilisation de produits de haute résolution caractérisant fidèlement le terrain est aujourd’hui indispensable pour soutenir efficacement les forces armées en opération et répondre à  de multiples besoins opérationnels.

Déjà mis en avant dans un précédent article sur la technologie LIDAR, (cet article), les données altimétriques jouent un rôle clé dans la production de renseignement, de produits d’aide à la décision ainsi que pour les produits de ciblages au profit des forces armées.12-egi_article_demi_colonne

Aujourd’hui utilisés dans plusieurs unités dont notamment l’établissement géographique interarmées (EGI), les logiciels industrialisés de corrélation d’images permettent de créer des modèles numériques de surface (MNS) et de restituer en 3D des zones géographiques ou objectifs précis en tirant profit du potentiel que recèlent les moyens d’observation des armées.

Le potentiel de l’observation spatiale

La fauchée des satellites d’observation et leur capacité à produire des couples d’images stéréoscopiques en font un capteur privilégié pour générer des modèles numériques de surface (MNS) sur de grandes étendues géographiques et/ou difficiles d’accès. L’imagerie satellite permet d’appréhender un territoire dans sa globalité dans des délais relativement courts avec des possibilités de revisite quotidienne pour des constellations comme le couple de satellites Pléïades 1A / Pléïades 1B.

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Les capacités d’acquisition multiples des satellites Pléiades permettent par exemple de créer des MNS précis. L’utilisation d’images tri-stéréoscopique permet de capturer certains objets qui ne pourraient être observé par le biais d’un couple d’images stéréoscopiques ainsi que de limiter la création d’artefacts lors du processus de corrélation des images, le produit 3D ainsi obtenu est de grande qualité.

Plusieurs études ont été réalisées conjointement par le CNES, le Sertit, le CETE du Sud-Ouest, le BRGM ou encore par l’IGN, pour évaluer la qualité de restitution 3D issus de triplets stéréo d’images satellite Pléïades en utilisant des levés LIDAR comme donnée de référence.

Globalement positives, ces études démontrent que même si de légères variations peuvent être observées selon le logiciel de corrélation d’images utilisé, la qualité est satisfaisante, et les produits obtenus sont adaptés à la majorité des besoins. Leur rapport emprise/coût/qualité reste de loin bien plus intéressant que pour la technologie à balayage laser.

Les prises de vue aériennes

Les prises de vues aériennes verticales ou obliques permettent généralement d’obtenir des produits 3D mieux résolus et plus précis qu’avec l’imagerie spatiale mais sur des étendues souvent plus restreintes, ce dernier facteur dépend bien sûr du système employé pour l’acquisition des prises de vues.

Depuis quelques années maintenant, ce secteur à vu émerger en masse les drones légers dont l’utilisation apparaît comme une véritable révolution pour l’acquisition d’images aériennes. Ce moyen de collecte présente un certain nombre d’avantages liés notamment à sa résolution spatiale, son coût raisonnable ainsi qu’à sa capacité a embarquer du matériel photographique pouvant être issu du grand public.

La flexibilité d’emploi des drones sont leur véritable atout, elle leur permet de répondre à une variété de besoins opérationnels allant de la simple reconnaissance à la collecte de renseignement. Les drones sont en train de devenir un outil de premier plan dans les armées et le potentiel que réserve leur exploitation est croissant.

Des produits spécifiques aux missions de ciblage

La qualité des produits obtenus par la photogrammétrie permet des usages variés et parfois sensibles comme par exemple dans le cas de la mise en oeuvre de systèmes d’armes et l’emploi de munitions guidées (arme aérienne, artillerie).

C’est pour répondre à ces problématiques que les données géographiques militaires Géobase Défense ont été produites par IGN Espace au profit du ministère de la Défense. Ce socle géographique composé d’une ortho-image et d’un modèle numérique de terrain (MNT) s’appuie sur  les images issues du capteur HRS (Haute Résolution Stéréoscopique) du satellite SPOT5 de la société Airbus Defence & Space. Les données Géobase Défense servent de support aux applications géographiques des armées comme aux systèmes d’armes et offrent une couverture de plus de 80 millions de km2 (soit 53% des terres émergées).

L’actualisation des données Géobase Défense avec des données plus précises et mieux résolues (jusqu’à 0,7m – mais rééchantillonné à 0.5m – sur des sites d’intérêt Défense) fait suite au marché Géosocle notifié par la DGA en 2015 à l’IGN et Airbus DS. Géosocle s’appuie sur les images issues des satellites SPOT6/7 ainsi que sur la constellation Pléïades et va permettre de compléter et améliorer le patrimoine d’orthoimages existant jusqu’en 2021.

logoAutre acteur spécialisé dans la restitution 3D à partir d’images satellites ou aériennes au profit du domaine de la Défense, la société d’origine suédoise VRICON (filiale du groupe Saab). Ayant signé un partenariat avec le géant de l’observation spatiale DigitalGlobe, la société VRICON propose une couverture globale en haute résolution (jusqu’à 0.5m) et une précision pouvant permettre l’emploi de munitions guidées par les armées.

Avec une solution automatisée et dimensionnée pour le « Big Data », la société VRICON tire profit de la masse d’images disponible aujourd’hui dans les archives de la société DigitalGlobe et se dit capable de modéliser une surface de 100km² en 20 minutes. La précision de localisation des modèles 3D produits dans des conditions dites « opérationnelles » (comprendre sans l’utilisation de points d’appuis), serait (selon VRICON) inférieure à 6 mètres.

Actuellement utilisés par les forces armées suédoises à des fins de ciblage, les données de la société VRICON ont été testées par plusieurs unités de forces spéciales de plusieurs nationalités de l’OTAN dans des missions de soutien aérien effectuées lors de l’exercice Boldquest 2013. La National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) a quant à elle récemment signé cette année un contrat de plusieurs millions de dollars avec la société VRICON dans le cadre de l’initiative de l’initiative CIBORG (Commercial Initiative to Buy Operationally Responsive GEOINT) pour la fourniture de MNS, MNT, nuages de points et ortho-images, ce contrat suit la démarche entreprise par l’US Army Geospatial Center en 2016 pour acquérir des données géographiques 3D.

Internet, une ressource prometteuse

Le renseignement via des sources ouvertes (ROSO/OSINT) est devenu grâce à l’essor d’Internet et des réseau sociaux une ressource extrêmement prolifique pour les services de renseignement, il est aujourd’hui facile d’accéder à de grands volumes d’informations, banques d’images et vidéos de qualité. La capacité de la photogrammétrie à exploiter des images ou vidéos numériques pouvant provenir d’origines diverses permet de tirer profit efficacement des données issues de sources ouvertes.

Un exemple particulièrement éloquent a été la restitution 3D du château de Fakhr-al-Din al-Maani de Palmyre (Syrie) en 2016 par la société Drones Imaging, un bureau d’études spécialisé en photogrammétrie, modélisation 3D et géomatique situé en région parisienne. Pour réaliser ce travail, la société a exclusivement utilisé des données issues de sources ouvertes et s’est basé sur plusieurs sources d’images et vidéos aériennes dont une prise de vue capturée depuis un parapente. La collecte, le tri et l’exploitation de l’ensemble de ces données a permis de construire un modèle 3D précis du château sans mobiliser le moindre moyen technique ou humain sur zone.

Cette approche offre des perspectives très intéressantes et démontre les nombreuses possibilités offertes par la complémentarité des données issues de différentes origines pour modéliser des environnements ou objectifs en 3D avec la photogrammétrie. Dans un contexte opérationnel, l’exploitation de ces ressources pourrait permettre de répondre aux besoins de préparation des forces armées avant leur projection sur un théâtre d’opération.

De belles perspectives, sous réserve d’en garder la maîtrise

Largement concurrentielle, la photogrammétrie est une technologie flexible et accessible offrant de solides capacités dans la restitution 3D d’environnements variés et complexes pour un investissement relativement modéré. En s’appuyant sur l’exploitation des images collectées par la variété de capteurs que possède les armées, la photogrammétrie renforce la capacités des armées à réaliser des produits 3D destinés à répondre aux besoins opérationnels.

La démocratisation de la photogrammétrie en fait un outil de choix pour tirer pleinement profit du potentiel des capteurs des armées, cependant ce changement laisse entrevoir un risque dans la maîtrise des données géographiques et de leur qualité. Si la facilité d’utilisation de logiciels commerciaux permet aujourd’hui de restituer des environnement 3D sans connaissances préalables en photogrammétrie, leur utilisation à des fins opérationnelles non maîtrisée comporte un risque potentiellement important.

Cette question souligne l’importance de disposer d’entités ou personnels experts afin de maîtriser les données et logiciels utilisés via un processus de validation des données géographiques défini. Ce rôle, actuellement tenu par l’Etablissement Géographique Interarmées (EGI) qui constitue, pour les armées, le pôle d’expertise technico-opérationnelle dans le domaine de la géographie risque de s’accentuer à l’avenir pour faire face aux besoins croissants des opérationnels ainsi qu’à la multiplications des capteurs ISR et drones légers.

Le développement de cette discipline au cours de la dernière décennie en dit long sur son potentiel et l’engouement qu’elle suscite dans les armées du monde entier lui présage en tout cas un bel avenir.

Jean-Philippe Morisseau

Bibliographie

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3 réflexions sur “Le potentiel de la photogrammétrie pour la Défense

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